porta

porta
Daniela Iaria, "Attraverso la porta bianca-fiume", 39x41 cm, 2004.

vendredi 6 janvier 2017

Valerio Magrelli

Valerio Magrelli est sans doute le poète contemporain le mieux connu en France aujourd'hui, et ce au moins depuis sa participation aux séminaires de Royaumont à la fin des année 1980 (La contagion de la matière, préf. B. Noël, Les Cahiers de Royaumont, 1989), pour ne pas citer plus de dix ans auparavant Le printemps italien (A.P. 1977). Il a été récemment présenté ici même, ou encore dans l'anthologie permanente de poezibao avec les vers de Geologia di un padre (2013), et paraît bien sûr dans notre Anthologie. Les poèmes traduits ci-dessous sont inédits en volume : comme d'habitude, on en trouvera donc les originaux (pris, avec l'accord de l'auteur, de : le parole e le cose) dans notre second blog.



                                                                                La poesia e la fogna, due problemi mai disgiunti 
(E. Montale)


Mouettes, donc

J’ai eu tort d’en dire tant de mal,
c’est pourquoi elles se vengent.
Descendues du haut de leurs couchants
elles viennent paître devant ma porte d’immeuble.
Elles mangent les ordures
seule plante qui pousse en ville,
dans nos villes,
un lierre qui pousse déjà mort
et nourrit à présent le peuple des ciels.
Je me moquais du Kitsch :
voilà les zombies devant chez moi.



Sunt lacrimae rerum

C’est en particulier dans les pleurs
que l’âme manifeste
sa présence

Elle ressemble à l’eau
qui éteint les incendies.
Alors qu’elle est l’inverse – cautère.
Quand la douleur déborde,
alors, contre l’eau, il faut du feu.
Et les pleurs sont cela :
Marquage, marque brûlante, fumée
qui monte de la peau et scelle
(pour combien de temps ?) la blessure.



Ego humus

De temps en temps mon ami malade me téléphone.
Je devrais dire plutôt l’un de mes amis malades,
vu qu’il n’est pas le seul.
Mais lui est différent des autres,
il est « mon ami malade ».
Depuis quand je le connais ? Aucune idée.
C’est un poète, et nous avons souvent lu ensemble.
Quand ? Il y a vingt ans ?
Mettons même trente une demi vie.
Et lui, depuis, étant tombé malade,
a commencé à m’appeler, de temps en temps.
Je réponds toujours, partout.
Je reste longtemps à l’écouter ;
je reste longtemps à m’écouter.
S’il est malade, qu’est-ce que je suis, moi ?
Pourquoi m’appelles-tu ?
Pour me rappeler que moi aussi je suis malade ?
Pas comme toi, mais presque, douce
ombre de moi détériorée.




© les auteurs et CIRCE